« Il avait trois ans lorsqu’on lui apporta une paire de petits souliers rouges qui lui parut admirable. On l’habillait, et il avait hâte de sortir avec sa chaussure neuve. Tandis que sa mère lui peignait ses longs cheveux bouclés, il trépignait d’impatience ; enfin il s’écria d’un ton larmoyant : « Dépêchez-
Voici Alfred de Musset !
Alfred de Musset naît en 1810, au sein d’une famille parisienne unie et cultivée. Ecolier brillant, accumulant des années d’avance, il reçoit un grand nombre de récompenses dont le prix d'honneur au Collège Henri IV en 1827. La même année, il remporte le deuxième prix d'honneur au concours général.
Jeune homme, il s’intéresse à plusieurs disciplines dont le droit et la médecine. Paul de Musset, son frère aîné, racontera que « rebuté par l’aridité du droit, il voulut essayer de la médecine ; mais la dissection des cadavres lui inspira un dégoût insurmontable »2. Le cadet ajoute : « Jamais, je ne serai bon à rien, jamais je n'exercerai aucune profession. L'homme est déjà trop peu de chose sur le grain de sable où nous vivons ; bien décidément, je ne me résignerai jamais à être une espèce d'homme particulière »3. Alfred de Musset finit par faire admettre qu'il est bien destiné à la carrière des Lettres.
D’un point de vie physique, le jeune homme remporte tous les suffrages, tant féminins que masculins. Les compliments sont nombreux et forment l’essentiel dans les portraits qui lui sont consacrés, comme on peut le voir ci-
Victor Hugo évoque, lui, « ses cheveux d’un blond de lin », « son regard ferme et clair », « ses lèvres vermillonnées et béantes »5. Banville, alors jeune poète, décrit à son tour « ce puissant menton byronien, et surtout ce large front modelé par le génie, et cette épaisse, énorme, violente, fabuleuse chevelure blonde, tordue et retombant en onde frémissante, lui donnant l’aspect d’un jeune dieu »6. Ce dernier mot de dieu, ainsi que le titre de prince de la jeunesse, lui a souvent été décerné. Souvent considéré comme un dandy, il a conservé cette image de jeune homme élégant jusqu’à la mort. Sainte-
Classé parmi les romantiques, Alfred de Musset reniera assez vite cette appartenance. Il est et se veut homme du monde mais refuse le carcan du cénacle, la naïveté du milieu romantique. On raconte qu’« il s’était alors allié à une bande de terribles « vauriens », c’était le nom qu’ils se donnaient à eux-
Le nom d'Alfred Tattet revient souvent, et l'on n'a de cesse de dire que la sympathie qui a lié les deux jeunes gens s'est changée en une amitié solide, en une affection profonde qui dura leur vie entière. C’est ici qu’Alfred de Musset illustre en quelque sorte le phénomène de l’altérité de soi. Les jeunes viveurs dont il est question usent et abusent de tout. C’est une société dans laquelle le jeune homme s’épanouira mais qui, dans le même temps, lui fera horreur. Alfred de Musset reste également celui qui « a vécu plus qu’aucun de ses grands contemporains de la vie artiste, de la vie littéraire et de la vie mondaine »11... Il mène une vie de libertin qu'il ne cache pas, et à laquelle il ajoute bon nombre de vices. Cependant, son cœur exècre ce mode de vie. Il n’échappe pas à une forme de « norme » dont il voudrait pourtant ne pas connaître le caractère sordide.
Son père, Victor-
Le premier ouvrage publié s’intitule Les Contes d’Espagne et d’Italie. Le succès n’est pas immédiat. Les critiques soulignent « le bric-
Dans L’Universel, un critique, qui se contente de signer « F. » se dit « révolté des fautes de français » qu’il dénombre, « blessé par les rejets et l’emploi de mots dits réalistes comme pots ou haillons »15. Une autre revue, La Quotidienne, lui réserve cependant un accueil plus aimable en déclarant que l’auteur est « un poète et un fou, un inspiré et un écolier de rhétorique ». Cela dit, l’article décrit aussi le ballottement permanent qui fait que le lecteur passe « de la hauteur de la plus belle poésie aux plus incroyables bassesses de langage »16. Eugène de Mirecourt reprendra cette même idée, en décrivant ce que produisit ce livre : « l’effet d’un météore : il inspira tout à la fois l’admiration et l’épouvante »17.
Toujours est-
Musset reste un impatient en tout : en amour, en littérature. Il veut tout et sans délai. E. Krantz décrit cet aspect de sa personnalité ainsi : « Il ne sait pas, il ne peut pas attendre ; il n’attend ni l’amour, ni la gloire, ni la douleur ; il va au devant de tout ; il lui faut en tout la possession immédiate, la jouissance soudaine, la victoire instantanée »20. Madame Caroline Jaubert, la douce marraine, ne l’a-
On pourrait trouver là des raisons à ses déceptions, à sa jalousie incessante et mal venue, avec George Sand notamment et qui finira d’ailleurs par lasser cette dernière.
L’impatience n’est-
L’année 1830, avec Les Contes d’Espagne et d’Italie, marque donc le début de ce que l’on a appelé la grande décennie d’Alfred de Musset. Durant cette période, sa production est effectivement intense. Le succès va d’ailleurs de pair avec cette intensité de production. « Chez lui, l’homme et le poète ne font qu’un »26, écrit Krantz. Et la Poésie, qui demeurera sa passion, est reconnue. Lui-
En ce qui concerne le théâtre, Alfred de Musset ne souhaite plus voir jouer ses pièces après l’échec de la représentation de La Nuit vénitienne ou Les Noces de Laurette. Il écrit alors un genre de théâtre destiné à être lu, selon son expression, « dans un fauteuil »27. Il privilégie la relation directe, intime même, qui unit auteur et lecteur. « Non, je dis adieu à la ménagerie et pour longtemps »28 fut la réponse d'Alfred de Musset lorsqu'on lui demanda s'il se livrerait une autre fois « aux bêtes ». Il fut question d’un « échec sanglant et d’ailleurs parfaitement injustifié, sinon inexplicable »29. Le constat est le suivant : « public et critiques restèrent désemparés devant ces caractères tout en finesse, devant les subtilités de langage »30.
Dix-
Une trentaine de poèmes, deux romans dont La Confession d’un enfant du siècle, dix comédies, trois drames, sept contes, six nouvelles forment l’ensemble de son œuvre. Mais à vingt-
Des honneurs lui sont rendus par l’Académie Française où il est reçu le 12 février 1852. Malheureusement, on raconte que « sa dignité d’académicien lui pèse sur les épaules comme un manteau de plomb »31. Il reçoit la Légion d’honneur. Mais le tarissement de son inspiration qui suscite l’éloignement et, par le fait même, l’oubli du public, lui est fatal et marque sa sortie de la scène. En 1854, dans la collection des Contemporains, paraît la biographie que lui consacre Eugène de Mirecourt. Si l’auteur ne craint ni les termes d’alcool, de prostitution, ou encore de débauche, celui-
« [...] Marche dans la route que Chateaubriand, Victor Hugo, Lamartine, tous nos grands écrivains, ont suivie avant toi.
Une page de chacun d’eux a suffi depuis longtemps pour aplatir les cent volumes de Voltaire, et la tienne [...] continue la tâche.
Ne l’oublie pas, les saintes croyances donnent au poëte une double auréole.
Tu es taillé dans le granit avec lequel on sculpte les géants, [...] ! »33
La question que pose ensuite l’auteur est celle-
Malgré son élection à l’Académie Française cinq ans plus tôt, peu de monde, lit-
Voilà qui surprit et émut. Peu d’amis véritables, et les inconnus que l’on attendait n’y étaient pas non plus. Il y avait là une poignée d’obligés si l’on peut dire. Musset de par son statut d’Académicien, fut accompagné par quelques-
Pour être tout à fait exact, il faut préciser que la messe d’enterrement fut très suivie par une foule d’environ deux cents personnes. Ainsi, « à l’Eglise Saint-
Suivant plusieurs témoignages, c’est ensuite que les choses se gâtent un peu. En effet, « lorsqu’il s’agit d’aller au Père-
D’autres constateront, avec amertume également, que ces funérailles avaient été « conduites par l’indifférence »38. Dans la même veine, A. Houssaye racontera : « J’étais du dernier adieu ; Nous nous comptâmes avec désolation : nous étions vingt-
En 1835, la Revue des Deux Mondes avait publié ces vers qui sont un fragment du poème Le Saule :
« Mes chers amis, quand je mourrai,
Plantez un saule au cimetière.
J’aime son feuillage éploré ;
La pâleur m’en est douce et chère,
Et son ombre sera légère
A la terre où je dormirai »41.
Pour la petite histoire, « Le saule fut planté, mais, dit-
L’un d’eux a d’ailleurs une histoire assez rocambolesque : « Embarqué le 15 août 1866 à bord du vapeur des Messageries maritimes, je transbordai à Rio-
La personne qui raconte ceci se nomme E. Noël et dit avoir agi sur le désir de l’un de ses amis, le colonel argentin Ascazuli, poète lui aussi. Ce dernier, dit-
M. Noël, plus de quarante ans plus tard, dupe ou non, écrira tout de même ceci « sans doute aujourd’hui, le pauvre saule a bien vieilli et bien chétif est son aspect ; mais ce qu’il dit est grand, pour qui sait entendre, et le souvenir qu’il proclame, et auquel je m’honore d’être modestement associé, reste éternel »45…
Cette courte biographie d’Alfred de Musset se termine avec ce dernier hommage, sachant malheureusement, que ce saule-
[Voir la sépulture d’Alfred de Musset au Cimetière du Père Lachaise]
[Mieux connaître Alfred de Musset au travers des rubriques :
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NOTES ___________________________
1 Paul de Musset, Biographie d’Alfred de Musset, Paris, Editions Charpentier, 1888, page 24.
2 Paul de Musset, Biographie d’Alfred de Musset, op. cit., page 75.
3 André Villiers, La Vie Privée d'Alfred de Musset, Paris, Hachette, 1939, page 30.
4 Vicomtesse Alix de Janzé, Etudes et récits sur Alfred de Musset, Paris, Editions Plon et Nourrit, 1891, page 9.
5 André Villiers, op. cit., page 30.
6 Ibid., page 30.
7Annales de l’Est, Alfred de Musset, par Emile Krantz, 1890.1.4e année, page 343.
8 Antoine Adam, Le secret de l’Aventure vénitienne, Paris, Librairie Académique Perrin, 1938, page 48.
9 « Ulric, tout faible et fragile qu’il était, se prenait aisément à avertir et, qui plus est, à prêcher dans leurs fougueux entraînements ses jeunes amis, Musset et son inséparable Alfred Tattet ». Sainte-
10 Antoine Adam, op. cit., page 48.
11 Annales de L’Est, par Emile Krantz, op. cit., page 365.
12 Maurice Donnay, Musset et l’amour, Paris, Editions Flammarion, 1935, page 73.
13 Arvède Barine, Alfred de Musset, op. cit., page 36.
14 Arvède Barine, op. cit., page 36.
15 Ibid.
16 Ibid.
17 Eugène de Mirecourt, Alfred de Musset, Paris, Roret et Cie Editeurs, 1854, page 19.
18 Annales de L’Est, op. cit., page 340.
19 Ibid., page 341.
20 Annales de L’Est, op. cit., page 343.
21 Ibid., page 340.
22 La Nouvelle Revue, « La marraine d’Alfred de Musset – Caroline Jaubert », 1911.1.31e année, page 46.
23 Annales de L’Est, op. cit., page 344.
24 Ibid., page 344.
25 Vicomtesse Alix de Janzé, op. cit., page 17.
26 Annales de L’Est, op. cit., page 339.
27 André Villiers, op.cit., page 47.
28 Ibid., page 47.
29 Alfred de Musset, Œuvres complètes, L’intégrale, Editions du Seuil, op. cit., page 253.
30 Ibid., page 253.
31 Eugène de Mirecourt, Alfred de Musset, op.cit., page 77.
32 Ibid., page 78.
33 Eugène de Mirecourt, Alfred de Musset, op. cit., page 54.
34 Ibid., page 55.
35 Philibert Audebrand, La Gazette de Paris, Causeries -
36 Firmin Maillard, Le requiem des gens de lettres : comment meurent ceux qui vivent du livre, Paris, H. Daragon, 1901, page 95.
37 Firmin Maillard, op. cit., page 95.
38 Le Gaulois, 4 mai 1883, signé Tout-
39 Arsène Houssaye, Confessions, extrait de L’Intermédiaire des chercheurs et des curieux, 1926.21.Volume 89 -
40 Albéric Second, La Comédie Parisienne, extrait de L’Intermédiaire des chercheurs et des curieux, 1926.21.Volume 89 -
41 Alfred de Musset, Œuvres Complètes, Editions du Seuil, extrait de Lucie, Elégie, page 150. Ces six vers sont gravés sur la stèle du tombeau de leur auteur.
42 Cahiers Alfred de Musset, op. cit., allocution de M. Maurice Allem.
43 L’Intermédiaire des chercheurs et des curieux, 1905.18.Volume 51 -
44 Ibid.
45 ibid.
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Voir aussi